Le viatique est le seul but de l’homme qui se dit “Extraordinaire”, qui se prouve par lui-même et se crée de lui-même… Il est un but en soi qui se réalise comme tel bon grès mal grès, en redoublant toujours d’ardeur dans ses attaques en se disant avec orgueil et assurance: “il faut être fort, la force est nécessaire , sans elle on arrive à rien”. Voilà le fruit défendu auquel il ne faut pas goûter.
Il y a une ressemblance frappante entre ce faux génie et André Bolkonski dans guerre et paix de Léon Tolstoi qui rêve de son “Toulon”: “hé bien , et ensuite … Ce qui arrivera ensuite, je n’en sais rien, je ne veux pas savoir, ne peux pas le savoir. Je veux cela , je veux la gloire, être connu et aimé des hommes et pourtant ce n’est pas ma faute si je le veux. Oui uniquement pour cela ! Je ne l’avouerai jamais à personne mais mon dieu ! Que veux-tu que j’y fasse si je n’aime rien que la gloire, être aimé des hommes. Ni la mort ni les blessures ni la perte de famille rien ne me fait peur. J’ai beau chérir avec tendresse bien des êtres. Mon père, ma sœur, ma femme, mes êtres les plus chers: aussi horrible aussi monstrueux que cela paraisse, je les donnerais tous pour un moment de gloire et de triomphe sur les hommes, pour me faire aimer d’hommes que je ne connais même pas et ne connaîtrai jamais.”
Ce mauvais génie dépravé au fond de son désir, monomane en proie à une idée, et au cœur irrité par les théories, rumine des buts iniques que dissimule l’automystification , la peur de prendre conscience de lui-même… alors peu importent les noms à chacun sa petite préteuse, son Élisabeth, sa mère sacrifiée, son Nicolas (Gogol), son veau, son Golem. Et encore n’oublions pas qu’une confession sous-tend secrètement l’histoire car son idée est anti-populaire, en tout premier lieu c’est cela le peuple pour lui: les inférieurs, les faibles qui pourtant ont le pouvoir de juger le sage et de rendre la sentence.
Ce faux héros se compare à un atome de peste contaminant des nations entières, le résultat le voici : le sage qu’il se croit être, cherche à exterminer au plus vite tous ceux qui n’étaient pas sages et n’acceptaient par son idée, pour qu’ils ne retardent pas son triomphe. Voici ce qui fait dire à Dostoïevski : “Je suis un gredin”… Ou encore le rire de Sonia lorsqu’elle demande à Raskolnikov ce qu’il fait dans la vie et que celui-ci répond : ” Je pense”.
S.M
Peinture de Oscar Rabin.