Considered as one of the most challenging workplaces by the community of lighthouse keepers, it has been named “The Hell of Hells”.
It has been automated in 1990. It has been automated in 1990.
J’ai toute la nuit devant moi. Il n’y aura pas de brume. L’horizon est clair, on voit tous les feux. Le vent est remonté au nord mais la houle demeure et le phare tremble par moments dans le bruit.Ma lampe est tombée tout à l’heure. Je n’ai pas vu qu’à chaque secousse elle se rapprochait un peu plus du bord de l’établi. Elle a basculé sur mes genoux puis sur le socle de fer. La chambre de veille a pris cet aspect fantastique que je n’aime pas. Les ombres et lumières tombant du feu tournant courent sur les boiseries. Certaines semblent venir d’en bas, par l’échelle de la salle des machines. L’armoire de cuivre et les roues dentées du mouvement d’horlogerie, les volutes de la rampe étincellent. Tout le reste est noir.
Les verres des lampes de rechange sont dans la chambre de Martin. Je ne ferai plus rien cette nuit. Cela ne va pas très bien. C’est ce que je voulais dire.
Plus tard avec les vents de terre, nous aurons des milliers d’oiseaux. Et la brume.
Au-dessous, dans le magasin, le hublot de verre dépoli ne laisse pénétrer qu’un peu de lumière glauque.
En bas, il fait noir, entre les cuves à pétrole et les cuves à eau, dans la coursive d’entrée. Là se trouve la trappe de fer qui donne dans l’ancienne soute à charbon, maintenant noyée parait-il.Martin est appuyé contre le montant d’une vitre dans la lanterne, et regarde vaguement la mer, bouleversée à l’ouest. Le feu chante. La flamme du foyer, que l’on aperçoit sous le brûleur dans un miroir, est bleue et fixe. L’optique, immobile encore sous la housse blanche. Le soleil a disparu. Un peu de vent ronfle dans les ventilateurs de la coupole. On remonte le mouvement d’horlogerie. Le poids, qui repose au fond de son puits, dans le mur, à hauteur de la cuisine, heurte lourdement la paroi en se redressant, au premier tour de manivelle. Dans l’escalier les pierres s’assombrissent.Il faut que je dorme un peu avant minuit. Des questions vaines. Pourquoi la vue d’une lampe allumée en plein jour glace-t-elle le cœur ? Pourquoi suis-je toujours fasciné par le partage des ombres et des lumières ?
(…) Un court vent de nord faisait briller le flot montant. La mer glissait d’un seul bloc, sans bruit, et le ciel semblait la suivre. Seul, ce phare, dressé, inquiétant de loin j’imagine. Nous qui l’habitons nous sommes au secret. Je crois parfois participer à quelque chose de grave, sans comprendre.Nous entrons dans la période des vives eaux et l’on aperçoit, à basse mer, un morceau de la roche rouge sur laquelle le phare est bâti. Ar Men en breton signifie La Pierre. Qu’avait-elle de particulier cette roche pour qu’on la nomme ainsi, parmi les dizaines qui émergent sur la Basse-Froide ? J’aime ce nom.
Il faisait le même temps lorsque j’ai vu Armen pour la première fois. La mer était grise, comme toujours lorsqu’on navigue sur un bateau de guerre. J’ai cru reconnaître cet endroit. J’ai souhaité vivre dans ce phare. C’était la meilleurs façon pour ne plus le voir. Quand j’ai posé le pied, la première fois, sur ce débarcadère-jouet, je me suis cru chez moi. Mais de toute cette époque, déjà, je ne me souviens pas.
(…) Je n’avais pas envie d’allumer ma lampe. J’étais habillé du phare…Tout le phare vibrait légèrement, chaud dans le vent, éparpillant sa braise. La leçon des ténèbres est parfois très douce.
L’aube. Toutes les lueurs sont étrangères, mais le bruit, le chant à plusieurs voix du feu, peu à peu m’a rassuré.(…) La mer cogne sans répit maintenant. Les embruns crépitent sur la coupole. Les grandes vitres tremblent. C’est merveille qu’au milieu de tout ce vacarme le sifflement léger du feu demeure absolument perceptible. J’ai dû abandonner le fauteuil de quart, sous la pluie de mercure qui tombe de la cuve à chaque secousse.
Patience. Choisir d’habiter près d’une lampe, c’est tout de même choisir la couleur de sa vie. Une lumière violente fait écran. Ici, entre les lueurs et les ombres on doit pouvoir avancer lentement. Peut-être vaudrait-il mieux flamber d’un coup, vivre en torche, se consumer dans un éclair de folie ?
Mais la folie est dehors qui hurle. il faut résister. Faire le poids. J’allume ma lampe. La lumière coule sur le table et d’objet en objet gagne ses positions. Des ombres se prennent à vivre intensément, comme un regard. La limite du cercle est imprécise. Il faudra y aller voir. Avancer les mains.
Je n’en finirai pas d’errer entre l’ombre et la nuit. C’est de la complaisance.
(…) Brume. Depuis deux jours. Nous ne parlons plus. Nous ne prenons plus nos repas ensemble. Martin a les yeux injectés de sang.Quatre heures. Tout est gris. L’aube ne changera rien. La porte de la galerie est ouverte, la fenêtre de la salle des machines aussi, pour assurer un courant d’air sur les moteurs brûlants. On ne peut rester dans la chambre de veille, à cause du froid, et du bruit. Aucun refuge. Quarante-cinq secondes, entre les coups de sirène, pour aller surveiller le feu, inutile. Lorsqu’on ne peut redescendre assez vite, on se ramasse en boule, là-haut, près de l’optique, on se bouche les oreilles de toutes ses forces. Quand le hurlement éclate, un violent sursaut traverse malgré tout le corps.
(…) Les oiseaux sont là. Plusieurs centaines. Le feu les attire, la sirène les épouvante. Fous, ils viennent se briser le crâne contre la vitre. Le muret extérieur, la galerie sont couverts de plumes et de sang. Il faut veiller désormais devant la porte ouverte : ils entreraient, ils envahisseraient la lanterne pour crever le manchon du feu.On entend un peu leurs cris. D’autres cris. Le phare bouge. La houle est plus forte.
Poser ses mains sur les pierres. Rassurer. Renouer.
Je voudrais un jour, avec juste les mots, dire cette simplicité. Toutes les grimaces en moi n’auraient plus d’importance.
Tout est simple. Un ordre profond, à peine visible, et la prodigieuse liberté du cœur. Aucune erreur, aucune hésitation apparente : l’esprit qui a conçu cela s’est totalement effacé derrière son œuvre.Et l’utilisation de la moindre pierre. La très longue patience alliée à l’inspiration du moment.
Toutes les lueurs du jour, qui tournent et volent dans l’air léger de l’escalier, est-ce qu’elles ne se retrouvent pas au soir, dans la couronne de flammes secrètes du foyer ?A la lucarne près de laquelle je travaille aujourd’hui, on voit l’horizon partager exactement le ciel et la mer.
Moi j’ai besoin de lumière, je suis affamé de lumière. Les murs, les cuivres. Par quelle roue d’un moulin secret devrai-je moi aussi passer ?
Et je crois que la tour se défait un peu chaque jour dans la lumière, qu’elle est reconstruite au soir. Je pense au bruit des sabots dans l’escalier à l’heure de l’allumage.
En bordure de la coupole, la seule décoration du phare : quatre têtes de lion, qui font office de gargouilles, rejetant l’eau par la gueule. Eau de pluie et eau de mer étroitement mêlées les jours de tempête.
a cheval au bout de ce long bras noir, je voyais l’eau filer en dessous, j’avais l’impression de basculer lentement, comme lorsqu’on regarde, allongé dans l’herbe, des nuages passer au ciel, un jour de grand vent.
La mer elle-même, la mer se perce de lames vives indéfiniment.