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Depuis que nous «habitons» moins le monde, nous avons réinvesti notre corps. Dans les Ecumes, je développe cette intuition qui parcourt les travaux de Michel Foucault, notamment la Volonté de savoir, le troisième tome de son Histoire de la sexualité. Lorsque le cosmos (la suprasphère métaphysique) qui organise le séjour des hommes sur la Terre a cessé d’apparaître sous les traits d’une immense bulle de savon, lorsque les hommes ont eu le sentiment que ce cosmos n’avait plus rien à leur dire, bref, quand ils se sont persuadés que l’univers n’est qu’un silence infini d’espaces désolés, ils n’ont plus vraiment eu d’yeux pour lui. Ils ont commencé à regarder en eux-mêmes. Alors, ils ont découvert en eux mêmes une étrangeté, d’autant plus inquiétante qu’elle reste pour toujours leur – en l’occurrence, c’est une propriété qui a pour nom le système immunitaire..(…)…Grâce à l’hyperanxiété frivole du dispositif médiatique, il n’est plus possible de penser le moindre problème sans affolement. On réussit un sujet quand on fait monter l’adrénaline collective. Face à des technologies du vivant diabolisées, à une biurgie satanisée, un vieux rêve gnostique reprend du service, celui d’une recréation de l’homme par sa propre toute-puissance, et les médias, sous couvert d’en souligner les dangers, sont les premiers à s’en délecter.

Dans le fascisme d’amusement qui caractérise notre modernité tardive, le clonage des cellules souches et les attentats kamikazes relèvent tous les deux de la catégorie du «gothic» . Le «gothic» imprègne jusqu’aux étages les plus élevés de notre culture. Même la philosophie, pour peu qu’elle soit critique, est aujourd’hui une Schauerphilosophie – une philosophie d’épouvante. La panique «biotechnophobique» est la forme postmoderne du culte du sublime, une façon pour les hommes de communier autour de ce qui déplaît universellement sans concept. Par la grâce du génie génétique tel qu’il est expliqué dans les médias d’épouvante, nous vivons à l’heure des communautés horrifiées. La rumination des catastrophes possibles est le socialisme esthétique d’un monde désagrégé, l’ultime ciment qui le fait «tenir». L’usage politique du sublime effrayant produit la synthèse sociale.

Peter Sloterdijk