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Parmi les écrivains du XIX siècle, qui, depuis leur poste d’observation à la périphérie Est européenne retardée ont considère les jeux très avancés d’exploitation agressive du monde avec une réserve critique, Fiodor Dostoïevski s’est révélé comme le diagnosticien le plus clairvoyant.

Dans sa nouvelle « mémoires écrits dans un souterrain » parue en 1864 ; qui ne constitue pas seulement le document fondateur de la psychologie moderne du ressentiment mais aussi la première expression de l’opposition à la globalisation, se trouve une formule qui résume avec une force métaphorique sans égale le devenir du monde au début de la fin de l’ère de la globalisation : cette formule selon laquelle la civilisation occidentale est un « palais de cristal ». Lors de sa visite à Londres en 1842, Dostoïevski avait visité le palais de l’exposition universelle à South Kensington et avait aussitôt saisi de manière intuitive la symbolique de ce bâtiment hybride.

Pour Dostoïevski l’arrivé de cet homme nouveau qui une fois accomplie, la solution technique de la question sociale, vivait parmi ses semblables dans un palais collectif de verre et de métal dans lequel règne un éternel printemps de consensus. Le soleil des bonnes intentions brillait jour et nuit, la coexistence pacifique de tous avec tous irait de soi. Une sentimentalité sans limites.

C’est depuis ce point que le motif de la fin de l’histoire entreprend sa marche triomphale. Les visionnaires du XIX siècle comme les communistes du XX siècle avaient compris que la vie sociale après la fin de l’histoire combattante ne pourrait se dérouler que dans un espace élargi et doté d’un climat artificiel.

Si les combats historiques doivent déboucher sur la paix éternelle, il faudrait intégrer toute la vie sociale dans un habitacle protecteur, ainsi tous les évènements historiques ne pourraient plus survenir, tout au plus des accidents domestiques. Il n’y aurait donc plus de politique ni d’électeur ; uniquement des concours d’ambiances entre les partis et des fluctuations parmi les consommateurs.

Cette gigantesque serre est dédiée à un culte joyeux et frénétique de Baal, pour lequel le XX siècle a proposé le nom de consumérisme. Le Baal capitaliste que Dostoïevski crut reconnaitre à la vue choquante de ce palais à Londres et des masses londoniennes venues s’amuser.

Ainsi la cristallisation désigne le projet de généraliser l’ennui sous une forme normative d’interdire que l’histoire ne fasse de nouveau irruption dans le monde. Encourager et protéger l’immobilité bénigne est désormais l’objectif de tout pouvoir d’état.

Quand on observe le monde tel que l’ont modelé les processus transmis par le capital, on est forcé de constater que le cours actuel des choses a confirmé les anticipations de Dostoïevski sur les ambiances de l’existence dans les palais de verre.

Le palais capitaliste du monde, les marxistes ultra tardifs que sont Negri et Hardt l’ont tout récemment de nouveau arpenté sous le nom d’empire.